Avoir conscience du temps qui passe. Avoir conscience de notre perception du temps qui passe et devenir sujet de ce phénomène que nous ne contrôlons pas dans notre existence. Voilà le défi que la vie nous propose.
Trop souvent, nous subissons le temps. S’accélérant, nous filant entre les doigts, le temps subi nous vide de notre énergie et nous amène à la perte de sens, au bord de l’épuisement. Lorsqu’elle est pathologique, notre relation au temps nécessite justement que nous le prenions pour, lentement, développer une relation plus douce, plus apaisée, plus juste avec lui. Il est alors temps d’accorder l’attention qu’il mérite à notre corps, à la fois sujet au changement et conscient du temps à travers tous les rythmes présents dans sa biologie. Notre corps vit le temps, il y est naturellement synchronisé et n’a nul besoin d’horloge pour savoir quand s’alimenter, se reposer, se mettre en mouvement.
Revenir à la présence de notre corps, grâce à la phénoménologie, c’est suspendre le temps pour revenir à l’essentiel. Sans la mise entre parenthèses de nos contenus, nous ne pourrions pas nous écouter vivre de l’intérieur, nous rapprocher intimement de l’énergie vitale contenue dans nos cellules et découvrir cet organisme merveilleux que nous sommes.
Une fois le temps suspendu et l’écoute de notre moi intérieur affûtée, nous sommes capables de tourner notre regard vers le monde qui nous entoure et nous ajuster harmonieusement à la temporalité du quotidien, ce rouleau compresseur qui nous emporte souvent loin de notre co-existence.
Nous n’avons pas trop peu de temps, mais nous en perdons beaucoup. Nous n’avons pas reçu une vie brève, mais nous la rendons brève.
(Sénèque, La brièveté de la vie)
Le temps ponctue l’existence, c’est lui qui la découpe en instants, moments, durées, intervalles et rythmes. Et comment nous le percevons modifie considérablement la qualité de notre vie. Nous sommes dans le monde et dans le temps. Mais le temps s’accélère et nous éloigne de plus en plus de notre rythme circadien. Comment le vivre sereinement et surtout comment “nous” vivre sereinement?
L’automatisation du travail a accéléré et installé une continuité dans la chaîne de production qui ne s’interrompt plus. Internet a rendu instantané et permanent l’accès à la connaissance, aux biens, aux services. L’intelligence artificielle rédige en quelques secondes à peine et à toute heure un résumé sur le sujet de notre choix. Le streaming nous permet de “binge-watcher” des séries en continu, … Ces outils technologiques, de plus en plus nombreux et parfois utiles pour réduire la pénibilité du travail dans certains contextes ou pour accéder à la connaissance du monde, contribuent aussi à gaspiller notre temps et nuisent à notre concentration, notre efficacité, notre bien-être.
Des termes anglais entrés dans le langage traduisent cette accélération et la diminution du bien-être. Ils sont caractéristiques de notre époque du tout, tout de suite: FOMO (Fear of Missing Out), burn-out, brown-out, bore-out, overbooking, overthinking … et témoignent de nos comportements paradoxaux allant constamment de l’ennui à l’urgence et inversement. Comment gérer des notions si contrastées du temps dans la conscience ordinaire? Comment pouvons-nous vivre, dans nos journées, ce décalage permanent avec le temps qui défile imperturbablement?
Arrêter d’être dans l’urgence à peine les yeux ouverts, c’est se vivre différemment pour exister différemment. Ce “prendre le temps” du matin semble anodin et pourtant il fait toute la différence.
“Hâte-toi de bien vivre et songe que chaque jour est à lui seul une vie.”
(Sénèque)
La sophrologie nous permet de ramener notre rapport au temps à celui de Kairos. Vivre selon Kairos, c’est accroitre en intensité et en profondeur notre expérience positive de la vie ici et maintenant. Devenir sujet du temps au-delà du moment présent, c’est décider dans quoi nous voulons investir notre temps de vie. Deux outils importants apparaissent comme cruciaux pour pouvoir concilier Kairos (la dolce vita) et Khronos (le temps chronophage qui dévore ses enfants). Il s’agit de l’amour et de l’art de la programmation.
S’aimer, aimer qui nous sommes, aimer ce que nous faisons, aimer avec qui nous sommes, c’est ouvrir la porte à un espace existentiel qui se remplit de sens et qui nous offre la possibilité d’être qui nous voulons quand nous le voulons et avec qui nous le voulons. La simple joie d’être ici et maintenant à faire ce que nous aimons, ce qui fait sens, voilà ce qui nous permet de vivre librement et responsablement notre rapport au temps.
Deuxième outil: la programmation. Etre capable, dès le réveil, de programmer sa journée et d’y inclure des espaces-temps, des instants, pour soi, pour se vivre, pour faire la place à des pauses ressourçantes, motivantes ou reposantes, voilà une belle capacité de notre esprit orienté intentionnellement vers le temps dont nous sommes sujet et non plus objet.
L’art de la patience authentique équivaut à prendre le temps de ralentir et d’être à l’écoute de nous-même. Prendre le temps, dès le matin, au réveil, d’être à l’écoute de notre biologie qui émane du sommeil, à l’écoute de la présence de notre corps qui se réveille ressourcé d’une nuit reposante, réénergisante, à l’écoute de notre esprit que nous orientons vers une programmation positive de notre journée, c’est la clé pour remplir notre quotidien de liberté, de responsabilité et de dignité.
Ta deuxième vie commence quand tu comprends que tu n’en as qu’une (Raphaëlle Giordano) nous rappelle la finitude de notre existence face à l’éternité de la vie. Il est dès lors urgent de prendre son temps, son temps de vivre, son temps de souffler, son temps d’exister.